La pandémie installée préconise de ne pas trop s’éloigner. La période est donc parfaite pour satisfaire enfin une curiosité tenace née à l’adolescence lors d’une séance de 4 heures du « Crépuscule des dieux » de Luchino Visconti. Les châteaux de Louis II de Bavière ont l’avantage inouï d’être transfrontaliers, à portée de pass sanitaire.

Le monarque passionné, dérangé, hétérodoxe et asocial, maître d’œuvres compulsif, qui voulait, sorti d’un vers de Schiller “demeurer pour lui et pour les autres une éternelle énigme”, a fait bâtir, fin 19ème, trois châteaux dispendieux, pas finis, témoins de son monde alternatif, peuplés de ses obsessions, de cygnes et de démons.

L’échappatoire est idéale. Les hordes touristiques extra-européennes s’annoncent absentes, les jauges obligées de visiteurs promettent un calme relatif. De plus, la météo prévoit de la grisouille, la grotte de Venus est fermée pour cause de restauration, le pont de Marienbrücke est inaccessible pour le même motif, et l’Allemand – pour qui n’en parle un mot – est un jargon occulte qui augure de visites cryptographiques (dûment réservées des jours à l’avance pour une heure militaire, et forcément en groupe guidé au pas de charge minuté, et commentée en langue de Goethe).

Linderhof

Linderhof est le seul des châteaux de Louis II de Bavière où il vécut vraiment. Dans une forêt dense, au bout d’une superbe route panoramique en lacets (le long du lac Plansee), c’est une petite folie meringuée, une gentilhommière toute tortillonnée, retirée au milieu d’un parc vallonné. Le tout est très vert hospitalité et renouveau. A intervalles réguliers, le jet d’eau du bassin central s’élance très haut vers le ciel comme pour laisser éclater une joie.

Les appartements royaux (photos interdites) sont pour le moins tape à l’œil. Le décor et l’ameublement dégorgent de plus de magnificence et d’opulence qu’une caverne d’Ali Baba, c’est lourd et gras, huilé, chamarré. L’admiration (l’idolâtrie ?) rendue à Louis XIV et sa cour est quelque peu appuyée d’académisme et de vermeil. L’application apportée aux détails, de préférence clinquants, est exténuante tant chacun dispute à l’autre le prix de la brillance (les lustres gagnent). Mais les pièces sont à taille humaine et à force d’ors, de brocarts et de miroirs les alcôves semblent finalement presque douillettes. Depuis la chambre et le lit, la vue large alignée sur la cascade qui dévale et polit 30 marches ornées est un comble de luxe bien plus relaxant que les promesses de n’importe quelle fontaine zen et donne assez envie d’y paresser le temps d’une sieste.

Terrasses, jardins (à la française), parterres fleuris, statues, faïences, gloriettes, kiosques, chapelles, temples, cabanes, pavillons, … sont répartis sur le domaine en une sarabande élaborée où chacun déambule au grès de ses futiles ou pensives contemplations – quand il ne cherche pas le meilleur angle pour une photo. Les annexes moyen-orientales (pavillon marocain et kiosque mauresque) font montre d’une surcharge chromatique, soi-disant arabo-exotique, digne de mille et une nuits revisitées au travers d’un kaléidoscope.

S’il avait fait beau, un « déjeuner sur l’herbe » impressionniste, pour anachronique qu’il aurait été, n’eut pas déparé les mises en scène soignées de ce paysage rutilant enchâssé dans des montagnes brutes tant majestueuses que brumeuses. À l’entrée du site, le « Ludwig’s Bistro & Geschenke » (pléiade de strudels, bretzels et souvenirs touristiques trop chers) n’est pas à la hauteur de l’allégorie.

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Neuschwanstein

Neuschwanstein (prononcez comme vous pouvez) est la silhouette emblématique des châteaux de Louis II de Bavière. Ses formes et tourelles juchées sur leur éperon rocheux se profilent depuis la plaine et se découpent lors de la montée en téléphérique au sommet du Tegelberg. Il est dans l’axe des fenêtres de la chambre du souverain dans la résidence paternelle néo-gothique de Hohenschwangau. De là, il suivit à la longue vue, 18 années durant, l’avancée de travaux qui ne finirent jamais. Il se dévoile aussi depuis le point de vue dit « Jugend » sur la crête de l’autre côté de la gorge du Pöllat.

On lui tourne donc d’abord autour, comme si on ne savait pas avec quelles pincettes le prendre. Ce truc de granit gris ne ressemble à rien qui ne soit pas fantastique. Il oscille sans choisir entre château de conte de fées et forteresse de vampires. Après une petite grimpette, enfin au pied de cette massive et austère bizarrerie hérissée de créneaux et lanternes, la démesure théâtrale est à son apogée. Le passage du portail de briques rouges, gardé par un cerbère vérificateur de sauf-conduit peu accommodant, s’apparente à une traversée foutraque des portes du temps.

Une fois dans cet antre de démiurge (photos interdites), chaque salle d’apparat, antichambre ou cabinet, est enrichi par tout un aménagement lesté de marbres, boiseries chantournées, tapisseries, colonnades, et ornementations byzantines réhaussées d’une polychromie touffue et de dorures outrancières. Les enfilades de pièces grandiloquentes déroulent sur des peintures murales un florilège de légendes médiévales germaniques tourmentées qui, quoique lunaires, ne sont pas des histoires faites pour s’endormir. Entre le séjour et le bureau, une grotte artificielle de fausse rocaille et stalactites parachève le sentiment d’être dans un monde parallèle. Supposé être refuge onirique, c’est un royaume suffocant d’isolement, ténébreux et hanté, étoilé de chandeliers, plus propice à abriter des amours mystiques tragiques suivies d’errances fantomatiques, qu’à y vivre follement frivole.

Seule la vue dégagée depuis le balcon occidental, ouverte en grand sur les lacs cristallins et les cimes altières enchanteresses de l’Allgäu et du Tyrol, offre de quoi respirer léger et pur, en toute liberté.

Château de Louis II de Bavière : NeuschwansteinChâteau de Louis II de Bavière : NeuschwansteinChâteau de Louis II de Bavière : NeuschwansteinNeuschwanstein : vue depuis le balcon occidental
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Herrenchiemsee

Herrenchiemsee est, sur une île, le Versailles des châteaux d’un Louis II de Bavière d’opérette qui n’avait plus qu’un titre sans réels pouvoirs (concédés alors à Guillaume Ier de Prusse comme empereur d’une Allemagne unifiée). Dédicace construite plus de deux siècles après son illustre modèle qu’il voulait s’appliquer à surpasser, il stupéfie plus par sa quête (sa passion ou sa vanité ?) désespérée d’absolutisme que par sa grandeur. La façade du corps central sur jardins est reprise, au nombre de fenêtres près, de celle de Mansart et Le Vau, mais à l’original on a coupé les ailes (faute de moyens et de volonté après mort du roi prodigue).

Les intérieurs (photos interdites) sont une succession de déjà vu idéalisés et déroutants. Tout y est artifice de connaisseur, raffiné dans l’excès. Les plafonds peints, les verrières modernistes des escaliers d’honneur jumeaux (l’un terminé et saturé de stucs rougeoyants, l’autre inachevé, coquille vide en brique nue), les parquets superbement marquetés, le face à face inattendu avec une copie du portrait en pied du roi soleil par Rigaud dans la salle du conseil, la réplique insensée et confondante de la galerie des glaces et de ses allonges guerre et paix, concourent à l’ambiguïté spatiale et temporelle de ce monument de parade.

Le parc, plates-bandes égayées en cette saison de bégonias blancs et rouges, s’échappe le long du canal au cordeau qui se jette en perspective dans le lac Chimsee. La ligne fend l’île de part en part comme une cicatrice, comme si, via cette voie d’eau fuyante, un trop-plein d’impossibles rêves de perfection se déversaient et allaient se diluer dans un éther insondable et bleu.

Herrenchiemsee - Fontaine de LatonaChâteau de Louis II de Bavière : HerrenchiemseeHerrenchiemsee : cour de marbreHerrenchiemsee : Musée du roi Louis II, 1ere chambre à Linderhof
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« …Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi
De ce siècle où les rois se font si peu de chose,
… »
Paul Verlaine, À Louis II de Bavière (Amour – 1888)