TaxiBrousse3Heureux d’avoir obtenu son ticket officiellement oblitéré « Payé », la vazaha se félicite d’avoir sa place pour et là où il le souhaitait.  Assis qu’il croit comme un pacha à une vitre ouverte, il est naïvement prêt pour les toujours au moins six heures annoncées. Après un arrêt à la station-service, il se croit lancé sur les 200 kilomètres à venir, ventre à terre peut-être compte tenu du pesant chargement déjà arrimé, mais dolemment puisqu’il a intégré mentalement au calcul de la vitesse moyenne du bolide son état de dégradation comme celles des chaussées.

A priori (mêmes si les avis divergent à ce sujet) l’unique chauffeur et son acolyte (manutentionnaire, collecteur, placier, contrôleur, pousseur, …) ont la charge d’arriver entier à bon port avec vaguement un horaire à tenir, mais ne sont pas ou à peine payés sur les passagers enregistrés par la « compagnie » à laquelle appartient le véhicule. Ils vont donc faire leur beurre de tout ce qui va être embarqué, débarqué, livré, trafiqué, … à bord pendant le voyage. Aux différents et nombreux contrôles de police (en treillis) et/ou gendarmerie (en bleu) où il se fait systématiquement examiner ses papiers (alors que les voitures particulières passent sans encombre), il glissera subtilement un billet à  l’affable brigadier, toujours armé, pour qu’il soit moins regardant –d’autres fois, des déchargements se feront le virage juste précédent le checkpoint.

Taxi-brousse malgacheIl en résulte une conduite rallye quel que soit l’état du bitume et tout type de haltes de rendement ; quand le chargement peut encore occuper le moindre espace libre de la cabine mieux vaut l’y fourrer que de perdre du temps à le fixer sur le toit : moteur toujours ronflant, une cale de bois pour renforcer le frein sous-puissant, les alternances d’âmes et de marchandises s’effectuent à la volée toujours monnayées. Au bout de deux heures la population, tant humaine que volaillère, et la température ont doublé dans la carlingue et le confort tout relatif du départ n’est qu’un lointain souvenir ; de passager qui se croyait privilégié, l’étranger devient un usager comme les autres –moins important ou fragile que la cargaison–  bataillant tout aussi âprement pour son demi-bout de ressort de banquette skaï collant, affligé en plus par la radio qui éructe à fond une espèce de zouk yaourt malgache sirupeux répétitif ou des scies nasillardes de crooners français ringards. Les enfants-roi occidentaux, enfers braillards des spacieux TGV imperceptiblement climatisés, devraient prendre modèle sur leurs frères qui dans cette fournaise ne mouftent pas de l’interminable trajet malgré qu’ils ne comptent pas.

A ce prix, le taxi-brousse est un élément essentiel de la vie économique des patelins traversés et des marchés des bourgs : trait d’union et d’échanges indispensable comme de communication et de propagande (ce que marchandait avec un rural et ses sacs d’oranges, à un relais, dissimulé derrière un camion, l’homme empesé à la carte verte et rouge, manifestement politique, sortie d’un portefeuille ostensiblement garni, restera un mystère).

Pour le touriste accroché, la route est souvent magnifique et évocatrice : de Diégo à Majunga (en passant par Ambanja et Antsohiny), de Majunga à Tana, de Tana à Fianarantsoa, elle offre à voir les multiples ressources et richesses de ce presque pays de cocagne ainsi que les adversités et les expédients auxquels sont confrontés et se livrent ses citoyens grégaires trop doux, traditionalistes rançonnés.