Tôt au départ de Nouakchott, le placier sans doute mal réveillé à du considérer qu’une européenne est en 2 dimensions puisqu’il lui attribue le siège N° 15 dans un mini-bus qui en compte 14 (2 devant + 4×3) et est déjà occupé avec 3 enfants en sus. Sur la première centaine de kilomètres des 200 à parcourir, le goudron est tellement défoncé que la plupart du temps le chauffeur soit fait des embardées pour éviter les cratères soit roule dans le sable déjà crevassé à coté de la route. Au bout de 4 heures, hommes et (nombreux) bagages sont déversés au bord de l’asphalte amolli par 35°, fourbus et sur les rotules… à 1,5 km de l’embarcadère, histoire d’approvisionner en âmes éreintées les transports, taxis et carrioles à âne locaux, qui font la navette jusqu’à la zone douanière. Le long de la route les biens et les camions patientent.

Marchandises en attente à la frontière de RossoCamion à la frontière mauritano-sénégalaise

Au poste frontière détraqué de Rosso, point nodal d’échanges et de flux d’humains et de marchandises, il ne reste plus pour passer de la Mauritanie au Sénégal, qu’à traverser allègrement le fleuve éponyme avec le bac (gratuit quoi qu’essayent de faire croire les « coxeurs »1 et autres entremetteurs boni-menteurs soûlants qui rackettent sur les berges à tout prétexte – arnaques au droits de passage, formalités fantômes, change prohibitif, piroguiers margoulins, officiels complices…).

Ce tout petit ruban d’eau, cette délimitation de rien du tout finalement enjambée en 5 minutes, après une heure d’assommantes chicanes aberrantes et infondées, marque imperceptiblement le changement de pays : de l’autre côté, quoique les imbroglios soit disant administratifs soient tout aussi fantaisistes, les arnaqueurs sont un peu moins frénétiques, plus désinvoltes voir cocasses. Les hommes portent de moins en moins la daraâ2 bleue au profit de gandouras beigeasses mais les femmes arborent plus nombreuses des boubous de cotonnades colorées assorties plutôt que des melhfas3 vaporeuses, et au « salam alékoum » s’adjoint désormais le rituel « nangadef » du wolof local. L’Afrique noire commence ici.

Traversée du fleuve SénégalDébarcadère - Rosso Sénégal

Le pays de la teranga4 accueille comme il se doit, tout en cacophonie farfelue, foutoir bariolé et odeurs musquées, et c’est une réjouissance, une fête de le fouler à nouveau – y avoir vécu un peu, à une époque ou le oueb n’existait même pas, octroie une prérogative d’enfant prodigue. Au « garage »5 (ici aussi, selon un principe identique à celui d’en face, éloigné d’1,5 km du quai), les increvables taxi-brousse Peugeot 504 break 7 places, ont au moins cet âge là et sont littéralement les mêmes qu’à cette époque déconnectée. C’est sans doute cette immuabilité des choses (leur résistance !) et le subtil travestissement de doux souvenirs de cette période qui, aidé par la réapparition des baobabs, fait que durant les 100 prochaines bornes jusqu’à Saint Louis l’air est moins rude et la poussière plus verte.

Au Garage - Rosso SénégalTaxi-brousse entre Rosso et Saint Louis

1 coxeur : de l’anglais « to coax » (enjôler), le mot est passé en français du Sénégal tout en gardant un peu de sa signification dans la langue de Shakespeare (le substantif coaxer peut se traduire par « celui qui cherche à persuader autrui à force d’insistance, de flatterie. ») Il est utilisé pour désigner un rabatteur.
2 daraâ : tenue traditionnelle maure
3 melhfa : sari mauritanien
4 teranga : hospitalité en wolof
5 garage : gare routière