Voyager - Street Art LisbonneAutrefois, au temps des explorateurs rarement désintéressés et des grandes découvertes pas toujours pacifiques, aller voir ailleurs était encore un service rendu à l’humanité : ceux-ci ont défriché des terres inconnues, les suivants ont redéfini les contours du monde, ceux-là ont cartographié le globe, ces autres ont brassé les cultures et ouvert les esprits, les derniers ont alimenté les sciences et techniques, tous ont contribué à la marche en avant, à l’évolution des hommes, de leur environnement … et au mythe de l’aventure universaliste, là-bas, de préférence loin.

Aujourd’hui des avions plein de passagers rayent le ciel. Les reporters s’en vont et reviennent pour témoigner, les indésirables s’exilent, les pauvres émigrent, les hommes d’affaires s’envolent déplacer des capitaux, les diplomates se rendent à des négociations, les contingents militaires appareillent pour protéger ou guerroyer, les archéologues se lancent sur les traces du passé, les humanitaires et autres missionnaires courent faire ce qu’ils peuvent au présent, les artistes vagabondent à la recherche d’inspirations futures, …et les voyageurs filent se balader, quêter du sens, frotter leurs certitudes, leur liberté, leurs désirs et leurs rêves à une destination choisie tout exprès.

Voyager - MIMA Bruxelles - Ari MarcopouloCeux qui partent cheminer sur des sentiers, qui même quand ils ne sont pas battus sont topographiés et balisés, ne participent plus qu’à la fallacieuse perpétuation d’une légende humaniste à défaut d’avoir été philanthropique. Ils ne révèlent plus rien qui ne soit déjà géolocalisé, multi-diffusé saturé sur Instagram, visitent des lieux souvent soigneusement reconstitués pour paraître « authentiques », marchandent, au prétexte d’échanges autochtones, des centimes qui font de part et d’autre à peine une différence, partagent des curiosités et hiatus ethniques avec les locaux, n’ajoutent rien d’autre à la postérité que des selfies témoins de coins tellement inoubliables qu’il était nécessaire de les immortaliser au cas où, et colportent, en guise de bonne parole, à l’aller des poncifs, au retour des exotismes éculés, émerveillés souvent, désenchantés parfois, ébahis toujours. Ces derniers temps les plus engagés se promènent sans peur dans des pays délaissés pour cause de risque d’attentats, vadrouillent éco-responsable, traînent leurs guêtres, solidaires et équitables, au plus près des indigènes, … De ces déambulations ils font des (més)aventures anecdotiques ou philosophiques.

Voyager reste un art furtif de ne faire que passer.

Ça ne change pas l’axe de la planète (mais peut être son climat), ne réduit pas les distances, n’abolit pas les frontières, ne fait pas trembler les bases du monde, ne le rend ni pire ni meilleur, ne menace qu’à peine ses diversités, ne sauve ni ne tue personne. Ce n’est pas grave, ça n’a que l’incidence légère d’un battement d’ailes de papillon. Si chaque voyage était une déclaration de paix, chaque voyageur un ambassadeur de fraternité, si voyager nimbait les hommes d’amour, alors, peut-être…

Rester chez soi, ça ne sert à rien ni personne non plus…