Autrefois, au temps des explorateurs rarement désintéressés et des grandes découvertes pas toujours pacifiques, aller voir ailleurs était encore un service rendu à l’humanité : ceux-ci ont défriché des terres inconnues, les suivants ont redéfini les contours du monde, ceux-là ont cartographié le globe, ces autres ont brassé les cultures et ouvert les esprits, les derniers ont alimenté les sciences et techniques, tous ont contribué à la marche en avant, à l’évolution des hommes, de leur environnement … et au mythe de l’aventure universaliste, là-bas, de préférence loin.
Aujourd’hui des avions plein de passagers rayent le ciel. Les reporters s’en vont et reviennent pour témoigner, les indésirables s’exilent, les pauvres émigrent, les hommes d’affaires s’envolent déplacer des capitaux, les diplomates se rendent à des négociations, les contingents militaires appareillent pour protéger ou guerroyer, les archéologues se lancent sur les traces du passé, les humanitaires et autres missionnaires courent faire ce qu’ils peuvent au présent, les artistes vagabondent à la recherche d’inspirations futures, …et les voyageurs filent se balader, quêter du sens, frotter leurs certitudes, leur liberté, leurs désirs et leurs rêves à une destination choisie tout exprès.
Ceux qui partent cheminer sur des sentiers, qui même quand ils ne sont pas battus sont topographiés et balisés, ne participent plus qu’à la fallacieuse perpétuation d’une légende humaniste à défaut d’avoir été philanthropique. Ils ne révèlent plus rien qui ne soit déjà géolocalisé, multi-diffusé saturé sur Instagram, visitent des lieux souvent soigneusement reconstitués pour paraître « authentiques », marchandent, au prétexte d’échanges autochtones, des centimes qui font de part et d’autre à peine une différence, partagent des curiosités et hiatus ethniques avec les locaux, n’ajoutent rien d’autre à la postérité que des selfies témoins de coins tellement inoubliables qu’il était nécessaire de les immortaliser au cas où, et colportent, en guise de bonne parole, à l’aller des poncifs, au retour des exotismes éculés, émerveillés souvent, désenchantés parfois, ébahis toujours. Ces derniers temps les plus engagés se promènent sans peur dans des pays délaissés pour cause de risque d’attentats, vadrouillent éco-responsable, traînent leurs guêtres, solidaires et équitables, au plus près des indigènes, … De ces déambulations ils font des (més)aventures anecdotiques ou philosophiques.
Voyager reste un art furtif de ne faire que passer.
Ça ne change pas l’axe de la planète (mais peut être son climat), ne réduit pas les distances, n’abolit pas les frontières, ne fait pas trembler les bases du monde, ne le rend ni pire ni meilleur, ne menace qu’à peine ses diversités, ne sauve ni ne tue personne. Ce n’est pas grave, ça n’a que l’incidence légère d’un battement d’ailes de papillon. Si chaque voyage était une déclaration de paix, chaque voyageur un ambassadeur de fraternité, si voyager nimbait les hommes d’amour, alors, peut-être…
Rester chez soi, ça ne sert à rien ni personne non plus…
Très beau texte !
Voilà de quoi remettre les choses à leurs places. C’est dit, bien dit et juste.
Reste le plaisir naïf, égocentrique quand la lassitude n’a pas tout grignoté, une parenthèse superficielle à laquelle je reste accro
Quoi dire de plus? Très joli texte, profond mais sans jugement. Merci
Notre monde moderne est plein de plaisirs égoïstes 🙂 Mais j’aime à croire que même si ça servait à quelque chose de découvrir le monde auparavant (à mettre un nom sur une carte, à exploiter de nouvelles ressources ?), je pense que tous ces explorateurs avaient tout de même une belle dose de plaisir égoïste. A y réfléchir, il n’y a pas grand chose qui, dans nos vies, sert réellement à quelque chose, donc tant qu’à faire… pourquoi ne pas voyager ? ^^
Par contre voyager « ne menace qu’à peine ses diversités », je ne suis pas d’accord car lorsqu’il s’agit d’un tourisme reconnu, sans parler de tourisme de masse, et notamment dans les espaces naturels, il y a toujours des espèces végétales et animales pour en pâtir.
@Caro @Aline Merci
@Laura @Lauriane On est pas obligé de faire dans l’utile, j’espère que c’est ce que sous-entendait ma dernière phrase !
@Lauriane J’avais pris exprès la précaution du « à peine » (…parce que moins que la déforestation tout de même 😉 )
Bien sûr hedilya que je continuerais à voyager même si ce n’est pas utile… car cela reste une expérience enrichissante et je suis accro à la découverte de nouvelles cultures et paysages.
Reste à tenter que notre passage ne soit pas négatif
Oui, c’était assez clair que tu n’allais pas arrêter de voyager parceque c’est inutile ahah.
Mais du coup en effet, on est moins pire que la déforestation massive que subissent Borneo et d’autres coins comme l’Amazonie, mais je trouve que des fois on minimise notre effet. Certes minime par rapport à la population locale mais le tourisme entraîne une aggrégation des ressources et des personnes et même si le touriste jette ses déchets dans une poubelle, rien n’empêche cette poubelle d’être jetée dans une décharge sauvage.
Bon bref 🙂