« Qu’est-ce qu’un pays pour celui qui n’est ni militaire ni patriote exacerbé ? Un lieu de correspondances subtiles, un accord implicite entre le paysage et le pied qui le foule. »
Gil Courtemanche

Erreur de correspondance

C’est un beau mot « correspondance », une homographie évocatrice, un poème, une multitude de signifiés différents, à l’écoute, phonétique, un vocable protéiforme qui laisse entendre qu’il pourrait pondre respectueusement une danse collégiale comme si de rien n’était.

En vrai, entre autres, l’objet d’une théorie (ésotérique) où s’interpénètrent monde spirituel et matériel, un terme de théorème mathématique, de principe physique (et ce sans prendre en compte l’informatique et ses « erreurs de correspondance entre 2 tables lors de l’application de l’intégrité référentielle »…).

Un mot-valise en fait. De celles qu’on se traîne depuis l’enfance dans ledit cahier (celui qui s’appelle aussi carnet de liaison) avec, enfoui dedans, ce satané souvenir grammatical des temps de propositions principales et subordonnées introduites par que et des constructions de récits en utilisant les bons temps de verbes.

Carnet de correspondanceTicket sans correspondance

Attraper une correspondance

Mais nulle part plus qu’en voyage, entre arrivées, départs et connexions, « correspondance » ne signifie mieux son rapport entre des lieux, des choses et des êtres sans lien apparent qui n’étaient pas naturellement faits pour s’assortir mais finissent par, si ce n’est aller bien ensemble, au moins se croiser et plus si affinités.

Tous ces lieux de passage et de transition, d’entre-deux, où l’ennui et l’excitation font la paire, ces étapes nécessitant de changer de ligne, les halls et quais de gare, les salles des pas perdus, les carrefours, les échangeurs sont autant de combinaisons inattendues où se superposent le trivial et le rare ; des endroits où finalement on respire et pondère une danse collective comme si de rien n’était sur l’air qui ce jour-là décide du tempo et de la mélodie qui concordent au ciel. La bande son agrandit et accompagne les horizons jusqu’à en devenir indissociable.

Et puis il y a ces rencontres d’une heure, d’un jour, d’un temps, mises bout à bout et qui s’assemblent comme un patchwork imprévisible et résonnent longtemps en harmonie, les disputes et les ententes quand chacun cherche dans ses images de référence les analogies qui rapprocheraient Valparaiso de San Francisco ou de Tanger, et ce qui, des collines potelées ou des venelles serpentines ou de l’esprit impalpable de là-bas, accordent le mieux ces mondes.

Voyage & Correspondance - FlaubertLe Caire - Gare Ramsès

Entretenir une correspondance

Reste la forme qui fut épistolaire de la correspondance, qu’on n’écrit plus mais qu’on tape sans plus se donner le temps d’accorder de l’importance à son originelle patiente désynchronisation, et remplacée sur la route par des chroniques, des publications sur les interwebs qui envoient vite du rêve à défaut de nouvelles plus intimes.

Le voyageur aspire à la télépathie mais est reporter de vadrouille, pas confident ; il partage, il n’attend pas de réponse mais des commentaires. Il prend des notes romanesques où il évite les interférences d’états contradictoires qui jureraient avec l’euphorie attendue par ses déambulations, il feuilletonne. A coup de traductions, d’adaptations, d’interprétations il essaye pour ses destinataires de réveiller des coïncidences, de combler l’écart entre le familier et l’étranger et tente de relier les imaginations avec des ordinaires de poste restante.

Du monde où il se meut, à l’unisson, son corps répond danse comme si de rien n’était.

Voyage et correspondance - Timbres