A qui n’a pas battu en retraite devant le tumulte foutraque du Caire, la ville ouvre ses trésors, et la citée surnommée « au mille mosquées » est une corne d’abondance féconde qui regorge d’édifices religieux remarquables souvent hauts en couleurs.

La géométrie parfaite, l’aplomb de ces monuments, qu’ils soient coptes, musulmans ou juifs, anciens ou plus récents, est assez systématiquement inversement proportionnel aux méandres et déséquilibres des quartiers qui les abritent (les protègent ?); le dénominateur commun reste le vertige provoqué par le mouvement, le bruit, les dimensions ou les hauteurs. Chaque escalier hélicoïdal ascensionné jusqu’au faîte d’un minaret remet en évidence cette équation. Des sommets des ses tours d’ivoire* Le Caire s’étire s’agite et cogne dans toutes les directions.

Sommet d'une des tours jumelles de Bab ZuweilaDu haut du minaret de Ibn Touloun

Cette sensation éthérée de rotation de l’environnement est agréablement soulagée par le gigantisme solennel des architectures, la rotondité accueillante des dômes, les perspectives tranquilles des vastes cours intérieures, l’ombre reposante des promenoirs à arcades, l’apparat des salles de prières, et toutes ces enceintes qui sont au recueillement cérémonieux ce que la rue est à l’effervescence brouillonne. Dans ces espaces dégagés les déplacements bruissent à peine et les échanges se chuchotent, les tapis et boiseries étouffent la résonance des marbres et coupoles. Tout en sourdine l’orient exprime son histoire dans les murs, sa sobriété dans la pierre austère, son opulence dans des ornements fastueux, .

L'église de Saint Georges au CaireLe Caire - La citadelle : Mosquée Mohammed AliMosquée Mohammed AliMosquée Ibn ToulounCour de la mosquée Mohammed Ali

Bab Zuleiwa, la forteresse de Babylone, la citadelle de Saladin, la mosquée Ibn Touloun sont aussi envoûtantes que leur nom est évocateur de sultans conquérants et bâtisseurs, de nation arabe, de légendes aux temps des croisades puis de cavalcades ottomanes, quand Le Caire n’était pas une mégalopole tentaculaire mais tour à tour la capitale médiévale des empires fatimides, ayyoubides ou mamelouks. C’est un plaisir, une datte de Proust délicieusement sucrée, de se remémorer in situ, alangui en retrait d’un soleil sévère, ces épopées sarrasines si évasivement enseignées à l’école alors que leur pouvoir de fascination est en ces constructions souverainement vivace.

Dans le patio du caravansérail d’Al-Azhar (wekalet El-Ghouri) récemment restauré, la troupe de derviches tourneurs El-Tanoura se produit 3 soirs par semaine et ranime cette sarabande byzantine. Les danseurs soufis virevoltent au rythme des flûtes et bendirs convulsifs, la musique est enivrante et les couleurs des jupes ondulantes hypnotisent. C’est une fantasmagorie joyeuse et étourdissante qui en fin de célébration laisse en transe, paré au tourbillon de la soirée cairote.

Wekalet El-GhouriDerviches tourneurs - danseurs soufis du Caire

* « J’ai toujours tâché de vivre dans une tour d’ivoire ; mais une marée de merde en bat les murs, à la faire crouler. » — (Gustave Flaubert, Correspondance, lettre à Ivan Tourgueniev, 13 novembre 1872)