Punta Arenas c’est la définition effective de l’au delà de la contrée lointaine et désolée; à côté, la lande bretonne du Finistère en plein noroît d’hiver fait pâle figure de tempête dans un verre d’eau. Etre là pour ne plus être ailleurs, au plus méridional du Chili, à l’exact antipode d’Irkoutsk, juste parce que c’était la destination de l’avion qui partait de Santiago au jour et heure désirés est un prétexte arrangeant pour ne pas avouer l’envie irrésistible de se retrouver à des milles de toute autre terre habitée, debout face au détroit de Magellan.
…Debout si tant est que les bourrasques qui déferlent à 105 km/h veuillent bien permettre à un humain de tenir d’aplomb sur ses deux jambes (comment les mouettes y résistent reste un mystère); les rares âmes dehors tirent des bords comme elles peuvent. Ce n’est pas parce que la ville s’est endurcie que la rigueur du climat austral qui décima les premières colonies s’est adoucie: c’est le début du printemps, le soleil tape, il fait tout au plus 5° sous abri, des averses de grésil s’en mêlent, et c’est la saison (toute fin octobre) où le trou d’ozone se situe exactement au-dessus de cet infortuné point de chute. N’importe qui ici est un conquérant qui défie les éléments, ce foutu vent et les dieux.
A 5 milles nautiques au nord (une heure trente de barcasse), au milieu du détroit, l’île Magdalena et son phare éponyme (toujours actif) héberge une colonie d’environ cinquante milles manchots de Magellan qui, à cette époque de l’année, sont en pleine période de couvaison; l’île est plus trouée qu’une meule d’emmental, des terriers, d’ou émergent, pataudes, ces bestioles croquignolettes noires et blanches, un peu sauvages pour cause de nidification. Sur un autre cailloux (l’île Marta), des lions de mer nagent et grognent et se vautrent. Au froid, dans la chaloupe, c’est comme d’être un explorateur, un argonaute, un découvreur retardataire.
Ce soir là à Punta Arenas, au bien nommé cinéma Estrella, c’est Gravity, qui vient de sortir, qui est à l’affiche (en VO sous-titrée espagnol),… et il n’y a personne d’autre dans la salle.
J’ai tâté du film en VO sous titré espagnol : C’était Lincoln… J’en garde le souvenir d’un mal de tête effrayant à la sortie de la salle de cinéma 🙂
L’avantage de « Gravity » c’est que, contrairement à « Lincoln » qui est fort bavard, c’est l’histoire d’une héroïne perdue seule dans l’espace (autant que moi dans cette salle); fort peu de texte et donc pas de quoi en perdre son latin ! 😉