Astérix en Corse © René Goscinny et Albert Uderzo

Les odeurs, en voyage plus encore, sont des fictions intouchables, des effervescences invisibles, des émanations instables, invasives, pénétrantes de rien, des associations libres.

À l’arrivée ailleurs, c’est toujours la première chose qui prend à la gorge : l’odeur du temps d’abord, du degré, du soleil cannibale, de l’humidité dévorante ou du froid mordant, du jour ou de la nuit; des odeurs qui sortent de la terre d’ici sous cette latitude, desséchée et poussiéreuse, détrempée et moite, ankylosée et minérale, des effluves chaudes de sable ou imbibées d’humus ou mouillées de flocons. C’est chaque fois un accueil organique, une nimbe volatile, une espèce d’aura floue, enveloppante, la note de fond du lieu, plus ou moins persistante.

Vont s’agréger ensuite, pétillantes, des bulles de gaz urbains, ruraux ou marins : les exhalaisons des gares, les vapeurs de moteurs, les senteurs des marchés indigènes, les fumets de cuissons autochtones, le sillage des matériaux locaux, les relents de biomasse, les fragrances végétales, les haleines animales, les encens religieux, les sueurs humaines, toutes ces atmosphères panachées qui signent la place de leurs essences aériennes, aseptisées ou toxiques, indissociables des parages et de l’instant. Ça pue, ça schlingue, ça embaume, ça fleure, ça cogne, ça s’infiltre, ça chatouille les narines, ça mène par le bout du nez (nez en l’air qui aspire, renifle, respire, flaire, hume, sniffe).

Le capiteux du tiaré tahitien, le citronné du thuya dans les rues marocaines d’Essaouira, l’âcre du « bois de vache » indien, le térébique de l’ylang-ylang malgache, l’aigre-doux du pho vietnamien,… sont autant de marqueurs saturés, de catalyseurs évocateurs, d’identifications déportées de ces pays odoriférants. Au delà, il y a les arômes de petits déjeuners exotiques qui soufflent les réveils, mais aussi ces remugles bruts, tenaces, consistants, compacts à en toucher l’air lourd, ou ces autres volutes évaporées, légères et délicates comme des soupçons de nuages, il y a des philtres, des hémisphères secoués dans l’air *.

Les odeurs en voyage, c’est toute une gamme d’imprégnations fantômes, perdues à peine inspirées, de connexions émotionnelles à venir, familières, et qui s’échappent, musquées, à la réouverture du sac au retour, comme un yack de celui de Mary Poppins.

* Un hémisphère dans une chevelure – Charles Baudelaire – Le Spleen de Paris