L’Egypte c’est avant tout du désert, ces étendues où la raison se perd parce qu’elle ne sait pas par où s’échapper.

Le désert blanc

Au réveil très tôt ce matin là il n’y a rien autour que les dernières étoiles s’évaporant face au soleil qui irise déjà l’horizon indifférent. On dirait que le sablier du monde s’est vidé tout entier et le temps arrêté. L’aube se lève pourtant, diaphane et rose, et scintille au ras des dunes muettes. Ce grand rien n’est ni informe ni nu et les premiers rayons du jour ravivent l’orbe des immensités et délinéent les sculptures meringuées que la nuit, pourtant de pleine lune, avait estompées. Le beau moment du thé brûlant gobeloté les pieds dans le sable encore tiède éloigne davantage les chatoiements nocturnes que saupoudrait le ciel oriental ouvert. Des icebergs crayeux éclosent dans un océan corail, des îles flottantes caramélisent sur un lit de sucre roux, c’est une autre planète, grésillante, épurée jusqu’à l’insoutenable. Avec l’aurore le rêve se dissipe; dans moins de deux heures la lumière sera suffocante, implacable, la luminosité élongera les distances, le paysage débordera des limites, il faudra quitter cet espace de liberté totale où tout est impossible, rendre leur territoire aride aux seules créatures capables d’y vivre, fennecs et scarabées noirs.

Egypte - Désert blanc au réveilEgypte : Désert blanc - Lever de luneEgypte - Désert blancEgypte - Désert blanc : concrétionEgypte - Désert blanc à l'aube

Pour retourner à l’asphalte, le 4×4 slalome à travers cette banquise rocheuse, louvoie au milieu de ce lac pétrifié, une poésie craquelée qui renouvelle inlassablement, sans ombres, des châteaux fantastiques, des bilboquets d’albâtre, des vacherins crémeux, quelques touffes d’herbe à chameaux éparses.

Le désert noir

Il y a 150 Km jusqu’à Al-Bahariya, des bornes de rocaille concassée, broyée, pilée, écorchée, de part et d’autre d’une 3 voies dépeuplée, pailletée et crépitante. Silex, mâchefers et scories constellent les plaines dorées, cuites à point. À la ronde ce n’est qu’une diversité désolée de terrils bruts coiffés de basalte charbon, de monticules volcaniques solitaires et calcinés, un cirque de géants, une œuvre au noir laissée en plan, modelée tout en bosses. Le décor courbe défile tel le générique d’un poignant western doux-amer où il fait bon pleurer à la fin.

Egypte - Route Egypte - Désert noirEgypte - Al-Bahariya, : Désert noirEgypte -Al Bahariya

L’oasis

Comme un mirage, l’apparition de la palmeraie ébouriffée interrompt de verdure pesante la géographie caillouteuse de la route et souffle un air dégagé après l’atmosphère poussiéreuse des pistes. Semblable à un clair-obscur dans une gradation de couleurs cuivrées, l’étape est une parenthèse fraîche, une échancrure exubérante dans un continent inerte. Qu’importe que le lac salé âpre et rêche brûle les yeux et crame la peau, que les lourds régimes de dattes orangées ne tiennent pas leur promesse sucrée, dans cette vallée à l’ordonnance sahélienne il fait bon presque oublier qu’une oasis n’est que le cœur enfoui d’une arène ensablée.

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Les dunes

L’erg est une harmonie uniforme et crue(lle), fauve, sans amer remarquable, repère familier ni trace intelligible, où ne semble être passés que des fantômes et du vent. Il n’y a rien à voir et tout à considérer. Le crépuscule rend vie aux ombres et forme et moire cette esquisse satinée. « Quelque chose rayonne en silence… »*, il flotte une aura pourpre de mélancolie et de patience ralentie, aucune pensée ne résonne. Entre chien et loup se livre un impossible corps à corps violet que l’obscurité ne remporte qu’à moitié… et alors, enfin, le désert ébranlé respire, veiné, sanguin, déployé, terriblement sensuel, infiniment troublant, tendre pour les quelques heures somnambules de la nuit à venir.

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* « J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence… » Antoine de Saint-Exupéry – Le Petit Prince, chapitre XXIV