La grande île de terre de feu est séparée du continent sud américain par le détroit de Magellan. De Punta Delgada à Bahía Azul , la partie la plus étroite au nord du canal, le bac le traverse en vingt minutes. Puis c’est 450 kilomètres, à peine coupés au tiers du trajet par le passage du poste frontière de San Sebastián, rythmés par rien d’autre que des estancias paumées, des troupeaux de moutons et de ñandús et quelques guanacos perdus sur les prairies découvertes. La Patagonie d’ici c’est aussi magistralement beau que terriblement ennuyeux. Une fois en Argentine le paysage est le même, .. jusqu’au dernier tiers du parcours qui passe par les montagnes avant d’arriver enfin à Ushuaïa.
Il y neigeait gros la semaine précédente, il y neigera énorme la semaine suivante, dans l’intervalle c’est l’été indien. La lumière est divinement chaude et ses reflets sur le canal de Beagle créent une aura embrasée de genèse d’un monde. La saison des départs pour l’Antarctique ne commence que dans 3 semaines (mi novembre), la ville est encore un cocon calme et tranquille. Ushuaïa ne cesse de rappeler qu’elle est au delà des 50èmes dit hurlants, loin de tout, mais qu’elle compense son éloignement par une relation privilégiée à la nature: le parc national de la Terre de feu, les îles réserves naturelles du canal, le glacier Martial, “à pied, à cheval, en ski et en bateau à voile”*, sont autant d’occasions exceptionnelles (par ce temps) de se sentir proche de la création originelle et de se prendre pour un naturaliste pionnier et aventurier.
La ville en elle même, beaucoup tournée vers le tourisme, n’est ni exaltante, ni décevante, un brin attachante; des quartiers plus ou moins riches, des duty-free clinquants, quelques jolies maisons aux couleurs vives bien entretenues, un hôpital fonctionnel (testé pour cause d’abcès dentaire), des murs peints, une promenade le long du canal et du port. En fond, le traumatisme de la guerre des Malouines, perdue il y a 30 ans (1982), est affiché partout, et chaque mur revendique la souveraineté sur ces îles (jusqu’à l’aéroport qui se nomme “Malvinas Argentinas”). C’est un microcosme un peu hâbleur, un peu revêche, pas inhospitalier, vraiment fuégien.
Le passionnant musée maritime installé dans l’ancien bagne en étoile, et dont une aile, lugubre et glaciale, n’a volontairement pas été restaurée, retrace l’histoire des populations et implantations depuis Magellan ainsi que la vie des prisonniers au temps du pénitencier et, par ailleurs, les étapes de la conquête de l’Antarctique.
Etre au supposé bout du monde, au fond du fjord, protégé de la furie de la rencontre de deux océans, amplifie les émotions, romance les envies satisfaites d’ailleurs, altère pour une bonne fois les distances. De là, sauf à être manchot empereur ou scientifique, seul le Nord est une option.
* En sortant de l’école – Jacques Prevert
Ah ces montagnes… quand même… 🙂
… valent vraiment le détour si on est dans le coin (parce que c’est loin quand même)!