Entre Niangoloko (Burkina Faso) et Ouangolodougou (Côte d’Ivoire) : Aller et retour

Traverser une frontière terrestre c’est toujours l’assurance d’anecdotes imagées. Traverser une frontière terrestre africaine quand on est en solo, seule peau blanche et cheveux blonds au milieu d’un no-man’s-land autochtone populeux, c’est de l’ordre du théâtre de l’absurde, et cet aller-retour (fin août 2015) entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire fut un véritable spectacle vivant.

A l’aller

Ça commence au premier arrêt à la gendarmerie de Niangoloko où l’hôtesse de bus fait brutalement descendre tout le monde sans autres explications, non pas pour faire la queue à on ne sait quel guichet administratif mais juste pour effectuer sans raison apparente, à pied, les 500 mètres d’une zone non définie. Puis en route sur les 25kms qui restent jusqu’à la dite frontière, la demoiselle fait un laïus à ses ouailles où il s’agit, pour ceux qui ne seraient pas en conformité avec leur vaccination, de « passer à la négociation pour 3000-3000 » (au lieu de 4000, annoncés comme réglementaires auprès du bureau ad-hoc) contre remise de sa carte d’identité au préposé à cette transaction.

Au second arrêt, où tout le monde descend à nouveau, un autre facteur récupère de toute façon sur le tarmac tout les papiers des voyageurs qui sont priés de le suivre à travers les innombrables vendeurs de « sucreries » jusqu’à la guérite de l’immigration de Yendéré. C’est le moment de s’apercevoir vite que les étrangers détenteurs d’un passeport ne sont pas traités à la même enseigne que les locaux (il a fallu qu’un fonctionnaire s’époumone par dessus la file indienne à mal hurler le nom de l’intrus) et de se présenter fissa devant l’officier idoine qui va, tout en bavardant sympathiquement, consciencieusement remplir, d’une belle écriture lente et scolaire, le registre des sorties, tamponner le sauf-conduit …et le donner à un collègue derrière lequel il faut trottiner jusqu’au poste de contrôle suivant, coté ivoirien à Laleraba – sans oublier de passer par le semblant de portique mollement gardé qui borne la démarcation. De ce côté, quoique la discussion soit plus inquisitrice, la même opération est réitérée mais le sésame passe cette fois dans les mains d’un homme en blouse blanche qui disparaît dans une autre guitoune en bout de piste en faisant signe d’attendre là.

Là : il faut imaginer au milieu d’une savane dense, par 30° humides, un terrain vague infesté de détritus en tout genre où s’étale un marché à ciel ouvert de colporteurs de n’importe quoi, portant trépied sous le bras et/ou bassine sur la tête, de grilleurs de poulets et d’odeurs grasses d’alloco frits, de bonimenteurs qui proposent des cartes sim locale toute les 2 secondes, de marmots qui réclament les bidons (bouteilles vides), le tout traversé par un ruban de bitume cabossé où les taxi-brousse surchargés tout comme les bus et les camions croulants attendent moteurs ronflants de passer la barrière.

Deux infirmiers assis derrière un hygiaphone de grillage beuglent les patronymes de chacun pour qu’il se présente respectueusement muni de son carnet de vaccination au contrôle sanitaire. Manque de chance, la méningite, qui n’est pas une injection obligatoire pour une arrivée aérienne, est impérative pour ce passage terrestre; en tout cas c’est ce que dit péremptoire et goguenard l’argousin trop heureux d’épingler une européenne qui, alors qu’elle se pensait innocemment en règle, est d’après lui manifestement inconsciente des infections malignes qui affectent ses compatriotes. Pour pouvoir passer, sans discussion possible, il en coûte 2500 de se faire piquer sur le champ dans l’arrière-boutique en plein air : la seringue sort d’une glacière qui n’a sans doute pas vu un pain de glace depuis 5 ans, on pique sans questionnaire médical préalable, mais le laborantin a le sourire, radieux d’être utile, si perturbé par l’incroyable événement qu’il en oublierait d’oblitérer et de rendre enfin ses papiers à l’alien aux yeux bleus égarés.

Jusqu’au stop suivant, aux douanes ivoiriennes (où personne ne descend, les gabeloux sont censés fouiller les volumineux bagages difficilement entassés dans les coffres), ce sera dans le bus une dispute houleuse sur le montant arbitraire versé par les irréguliers pour le marchandage groupé de leur illégalité, et qui les a spoliés de leurs frais de subside pour la route (sic). C’est là aussi que monte, accompagnateur pour tout le reste du trajet, un soldat en treillis camouflage armé d’une kalachnikov et qui impose, sans le vérifier, que tout le monde éteigne son portable jusqu’à l’arrivé à Bouaké (les autorités craignent qu’un passager éventuellement infiltré ne prévienne des coupeurs de route de la position du car).

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Au retour

Au départ, c’est 2 militaires toujours armés qui prennent cette fois place au premier rang du bus mais c’est l’inévitable camelot gueulard qui rappelle, entre deux péroraisons sur les furoncles et les panaris pour lesquels il vend une crème miracle, que les portables doivent absolument être coupés – et c’est vrai qu’il précise « et pas en mode avion hein, pas en veille, … » . C’est une erreur imbécile de ne pas s’être sentie concernée.

A Katiola, à 250km de la frontière, les 2 fantassins passent dans les rangs en demandant manu militari à contrôler de visu que chaque mobile est bien off… et en l’occurrence ce n’est pas le cas. Aucune protestation, même toute ingénue d’occidentalité, n’empêche la confiscation séance tenante de ce p****n de smartphone dernier cri qu’il aurait mieux valu ne pas révéler – ou effectivement éteindre. Le troufion, trop heureux de sa prise, n’ira du coup pas au-delà du siège 12. A la pause pipi qui suit, sur récriminations, l’homme assure qu’il rendra l’objet du délit une fois à la frontière; il a dans sa poche une bricole qui non contente de renfermer toutes les données d’une vie numérisée vaut au moins 6 mois de son salaire moyen : il va falloir la jouer finement pour qu’il ne tente pas un quelconque chantage. Au redémarrage un des voyageurs fait savoir au conducteur qu’un autre n’est pas encore là, ce à quoi il lui est répondu que ce n’est pas grave puisque c’est un homme (il rattrapera finalement le convoi au bout d’1/2 heure à l’arrière d’une motobylette).

Arrivée à la frontière, les bidasses descendent rapidement les premiers, l’air de rien, sans un regard à celle qu’ils espèrent sans doute suffisamment intimidée pour la rançonner et c’est supplice de patienter son tour pour pouvoir les rattraper alors qu’ils s’éloignent à gauche, …d’autant plus que de nouveau un agent récolte les pièces d’identité avec lesquels il s’en va à droite. Dilemme cornélien tranché à l’idée qu’il est impossible de savoir où vont s’envoler les flics détrousseurs alors que les bureaux d’immigration, pour folkloriques que les formalités aient l’air, ne vont pas disparaître.

C’est alors une nécessaire comédie, un spectacle de rue, du grand boulevard tapageur, Antigone face à Créon, une partition africaine, qu’il faut jouer sans souffleur, en temps compté – dans une région où le temps n’est pas celui de l’horloge (sauf pour le bus qui n’attend pas) – au milieu de la jungle, sous l’œil rigolard des marchands ambulants qui parient plus sur les hommes en arme qui vont s’amuser que sur la dame blanche apparemment énervée : poursuite des compères jusque dans leur repère, réclamations obstinées, renvoi de la donzelle, jérémiades larmoyantes, jubilation de dominateurs, supplications penaudes, sous-entendus glissés, attitudes offusquées, plaisanteries sibyllines, indignations équivoques, rodomontades, …jusqu’à la calme réplique finale, gagnante « S’il faut payer une amende, il me faut un reçu. ». Les soldats, théâtralement magnanimes, capitulent, lâchent gratuitement leur prise et se feraient bien payer un zoom-koom* en guise de salutations, pour sceller dignement la fin de la représentation.

Mais, appareil en poche, il faut dare-dare, pour recouvrer et tampons et laissez-passer, se précipiter à droite où les démarches bordières et tracasseries officielles réclament aussi leur part de show. Ici c’est le rôle de touriste impassible, déférent et subjugué qu’il faut tenir tandis que le bus klaxonne convulsivement. L’auxiliaire du ministère de la santé, par chance extraordinaire le même qui à l’aller avait narquois imposé de passer à la piqûre, a cette fois ci un merveilleux sourire de connivence et, chevaleresque, fait signe qu’il est inutile de faire la queue, qu’il sait que les immunisations requises sont à jour, récupère le bon passeport dans la pile et le tend au travers du grillage accompagné d’un joli salut malicieux.

Une fois le bus reparti, en regardant défiler les goyaviers et bananiers au travers de la vitre sale, revient du catéchisme oublié de l’enfance un morceau de prière qui prend soudain un sens : « et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté » ** .

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Le zoom-koom, ou « eau de bienvenue », est la boisson nationale burkinabée, préparée avec du mil et du gingembre.
** Luc II,14