Voyager réordonne ses notions d’important et de grave et renvoie beaucoup de son quotidien dans le presque insignifiant. Ça c’est la (belle?) théorie, l’abstraction qui vante le voyage comme un révélateur du monde et de soi. La réalité est plus insidieuse; le voyage détraque et créé des hiatus et des coquilles, dignes de Brazil, aux effets absurdes ou sans issue, intimes et dérisoires, sévères. Avoir croisé d’autres vies éloignées de la sienne n’amène que des questions improductives, à match systématiquement nul.
En chemin les choses les plus élémentaires ont changé de substance, les essentiels « invisibles pour les yeux » ont quelque peu saturé le cœur, des sentiments se sont vivifiés, des attachements sont tombés en déliquescence. Car même s’il ne part pas innocent, le voyageur revient coupable du luxe ostentatoire de ne s’être impliqué dans rien, ni ici, ni ailleurs, et d’avoir été là-bas, et de rester là, ébranlé par tout (et n’importe quoi). Le voilà condamné à trier ses perturbations enfermé dans ses nuages d’interrogations; c’est une tempête sous un crâne.**
Le voyage ne grandit pas celui qui le pratique, par contre il fait paraître son environnement rétrécit proportionnellement à l’étendue de son univers connu. Au retour il ressemble à un homme de Vitruve encerclé dans sa sphère et qui gesticule contre des moulins à vent, incapable de traverser le miroir.
Si seulement la réponse pouvait se limiter à 42*…
*Le Guide du voyageur galactique – Douglas Adams
où 42 est la réponse à la grande question sur la vie, l’univers et le reste
**Titre du 3eme chapître des Misérables – Victor Hugo
T’es ptet bien le seul blog voyage avec lequel tu repars enrichi de vocabulaire après la lecture d’un article ^^
Sérieusement, la nostalgie, que dire. Rien que le fait de (continuer) à rédiger des articles pour son propre blog veut tout dire. Chacun essaie à sa façon de « combler » cette nostalgie, qui n’est pas forcément mal vécue mais elle est là, c’est un fait.
Les métaphores utilisées dans le dernier § sont pleines de sens et je ne peux que te rejoindre quand je n’entends que des « non non non » dans mon entourage alors que tout me paraît encore possible… Pour combien de temps encore ? Ah nostalgie quand tu nous tiens.
Je suis d’accord avec Emmanuel. Par ici, on ne peut pas trop lire les billets en diagonale 😉
Je ne pense pas être autant nostalgique du voyage. Le voyage amène certes beaucoup de questions sans réponse, mais le simple fait d’amener ces questions est pour moi beaucoup. Car à « s’enfoncer » dans notre quotidien, on en arrive très facilement à ne plus questionner … un drame !
@Emmanuel @Laurent On va dire sans trop d’ambages que tout cela n’est que littérature 😉 Du spleen au taedium vitae (et hop un nouveau mot!) il y a un abîme que je ne franchis pas …je constate juste que c’est un peu compliqué de revenir cultiver son petit jardin après s’être longuement promené dans celui d’Eden
Nous sommes en plein Éden et pour l’instant je ne vois que du positif à s’ouvrir, s’interroger, apprendre, se remettre en question. Faut bien que la vie nous bouscule de notre petit confort qu’on a voulu quitter un temps !
Quoique… je suis convaincu qu’on vivrait aussi plus heureux si on arretait de se masturber le cerveau (surtout intellectuellement parlant, qu’est-ce la vie ? Le bonheur ?…).
On y pense aussi à son petit jardin quand on voyage et il n’en sera que plus grand quand on y plantera des choux ! Pourquoi le voir si petit ? Et pourquoi le voir encerclé ? L’herbe est elle plus verte ailleurs ?
Au contraire, mon voyage me donne envie de découvrir mon pays et mon petit jardin d’encore plus prêt, avec autant de curiosité et d’énergie que celle que j’emploie pour voyager…
Voyager, c’est venir voir le jardin des autres et dire « c’est Eden ici ». Et bien des touristes viennent en France et s’émerveillent là où nous passons sans plus voir la beauté des vieilles pierres.
Le voyage est dans le regard, pas dans les billets d’avion.
Je suis assez d’accord avec Cindy. À lire certains, voyager c’est la vie et vivre le quotidien, un peu la mort…
La vie est plus verte ailleurs surtout quand on voyage sans entraves ni temps mort si j’ai bien compris. Deux doutes concernant ces deux affirmations :
– Perso je voyage avec deux entraves : l’argent (budget limité donc il faut faire des choix, renoncer) et le temps (faut bien revenir dans la vie normale une fois le budget dépensé). Pas vous ?
– pourquoi toujours courir, en voir toujours plus, toujours plus haut, grand et beau ? Une bière au soleil, avec un bon livre ou des copains…
Le voyage détraque visiblement mais il y a forcément des symptômes avant le départ… Vivre sans entraves et temps morts, qu’on ait voyagé ou pas, ça n’existe pas ou alors je veux un exemple…
Je ne comprends pas ce qui cloche dans vivre son quotidien. On perd le mode d’emploi de quoi ? d’avoir des contraintes, de ne pas faire ce qu’on veut quand on veut ? De travailler ? Que parfois on se fait « C » au boulot ? Que parfois on ne décide pas tout seul ? Que la vie aille vite et qu’on en profite pas à 100% ? Qu’on ne découvre pas un beau paysage tous les jours ? Ou alors que notre société marche sur la tête ?
Ma lanterne n’est pas tout à fait éclairée 😉 désolé de ne pas comprendre cette nostalgie (ou pas).
Moi je te trouve pas du tout nostalgique. Ce n’est pas être nostalgique que de reconnaitre son impuissance face au quotidien. C’est de la lucidité. C’est déprimant, mais c’est lucide. 😉
Quelle justesse dans tes propos Gwendal !
déprimant mais lucide, c’est effectivement on ne peut plus approprié !
Rentré pour ma part depuis 1 mois et demi, je sens le temps qui me rattrape déjà, qui m’aspire au point que « j’ai déjà plus le temps de ceci et de cela » et des contraintes qui reviennent. Sans parler de ce fameux bouton-poussoir « pause » qui s’éloigne de nouveau.. Peut être qu’un jour il se rapprochera de nouveau !
@Cyrielle : Je disais juste que le temps du voyage est celui du « vivre sans temps morts et jouir sans entraves » et que je n’ai pas l’occasion (ou le courage) de l’exprimer aussi pleinement au milieu des quelques banales exigences retrouvées au retour…
@Gwendal : Voilà, merci. C’est un peu comme avoir perdu le mode d’emploi du vivre ordinairement.
Zut. Je me reconnaissais tellement dans tes posts de l’avant départ que je peur de me retrouver dans ceux de l’après-retour. C’est beau, malgré tout, la façon que tu as de le dire .
J’en suis encore à la phase « le voyage détraque », et je te souhaite bon courage pour le retour, en espérant que tu trouves une solution meilleure que 42 d’ici le mien, de retour :p (le voyage rend égoïste, aussi, non ? )
Voyager est un état d’esprit : qu’est-ce que le voyage ?
Se déplacer d’un point A à un point B ?
Découvrir une nouvelle façon de faire les choses ?
Voir des paysages qui nous changent de l’ordinaire ?
Je pense que voyager est une manière de voir la vie. J’ai moi-même vécu 6 mois en France entre deux voyages, et j’ai adoré ! J’ai vécu la France comme un touriste : j’ai découvert des endroits que je n’avais jamais visité alors qu’ils sont au bout de la rue. Combien de Parisiens n’ont jamais visité la Tour Eiffel ou le Louvres ? J’ai apprécié les petites choses, comme aller acheter du pain chez le boulanger, comme aujourd’hui en Thailande, je trouve ca fun d’aller au marché et de voir les étalages de légumes inconnus ! Pas besoin d’attendre le Népal pour faire des treks, il y a de superbes chemins de randonnées en France etc…
On peut garder son « âme de voyageur » si on sait s’émerveiller des petites choses 🙂
et je trouve ca dommage d’être coincé dans un monde binaire, c’est soit voyager soit s’ennuyer dans son pays. Je crois qu’avec ce mode de pensée vous vous gâchez 50% de votre temps sur terre, et il y a tellement à apprécier ! Je suis prof de yoga, ce qui impacte surement ma facon de voir les choses, mais en yoga on dit qu’il faut se concentrer sur l’instant présent, le seul qui existe vraiment : il n’y a ni passé, ni future.