Le monde annonce un incident voyageurs, une interruption momentanée de fonctionnement, et signale que le trafic vers le lointain est perturbé. Imaginer partir, sans autre motif, vers un nulle part avec un milieu et des coins paumés, d’où l’on vient et dont on sort comme d’un moulin, est déclaré nul et non avenu.

Nous sommes en gare, (im)mobilisés. Ceci n’est pas un exercice.

Des mesures d’exception réévaluent les distances. Le temps et l’espace sont désormais décorrelés, les lignes de fuite n’ont plus de sens ni n’indiquent de mouvement, les amplitudes se contractent, les horizons retrouvent leur hors d’atteinte. Les cosmopolites sont contraints de rétrécir drastiquement leur pré carré, toute velléité d’évasion géographique est étouffée dans l’œuf, seules les injonctions vont bon train.

Chacun est assigné à résidence, sommé de se recentrer (?), de découvrir l’exotisme, au pire en ses murs, au mieux au coin de la rue, d’inventer un art du surplace, de faire le bouchon sur la vague, et, en philosophe, de cultiver son jardin (pour peu qu’il en ait un). Les écrans deviennent les nouvelles fenêtres vers l’ailleurs, les trois dimensions s’écrasent, un univers de platitudes compactes s’ouvre. Il n’y a plus que la frousse qui se partage et obnubile les échanges, toutes les autres nouvelles se sont tues.

C’en est donc terminé, jusqu’à nouvel ordre, de débarquer dans un pays dont tout reste à apprendre. C’est la longue déroute. Le voyage est prié de se replier et d’étrenner une nouvelle définition, quantique, d’un aller autre part ici et maintenant. La technologie promet une téléportation virtuelle en réalité augmentée. Les chantres de l’alternatif professent les bienfaits du séjour à domicile, du staycation, de la micro-aventure. Le trip s’élabore à base d’environs inexplorés, de découvertes à la ronde, de richesses alentour, de culture locale et d’écologie de proximité.

Le voyageur long-courrier, ce migrateur impénitent, cette engeance déjà délétère, libertaire égoïste et inutile, bombe biologique potentielle, est enjoint de rester dans ses pénates, d’y contenir ses branle-bas et d’enfouir son passeport au fond d’un tiroir. Garrotté à l’autel de l’humanitarisme, enjoint à s’en tenir là, il espère juste que les anecdotes de ses folles destinations d’hier ne deviendront pas les fictions invraisemblables de demain.

Quelque part sur une route en EgypteQuelque part au bord d'une route au Soudan