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Après dix heures de vol, l’avion atterrit à 3h du matin. L’aéroport est en plein milieu de la ville et l’auberge obligatoirement réservée d’avance pour décrocher le visa est censée être à une petite demie heure de marche du tarmac. Dans les rues désertes, enténébrées et silencieuses revient en mémoire ce joyeux dîner parisien à se taper la cloche avec deux olibrius migrateurs* ainsi que les trois échanges de 140 caractères qui ont suivi et ont impulsé cette virée improvisée jusqu’ici, entre Afrique noire et monde arabe, à Khartoum, Soudan. L’atmosphère est douce, dégagée et pacifique.

Malgré trois tours de pâtés de maisons autour de sa supposée adresse, le gîte espéré est introuvable (!?). Une épicerie est opportunément ouverte, ce qui est une chance puisque les douanes ont confisqué à l’escale du Caire le feu nécessaire à une essentielle pause cigarette (le moment « qu’est-ce que je fous là » du voyage). L’épicier n’a pas de briquet, ne comprend pas la destination recherchée, mais fait le cadeau d’une boîte d’allumettes, d’un sourire ébouriffé et d’un signe entendu vers un néon rouge qui est bien celui d’une autre pension. Il est 5h30, quelques rares travailleurs attendent tranquilles les premiers transports déglingués qui leur feront traverser la ville encore paisiblement endormie (le muezzin n’a pas encore lancé la prière du matin).

Khartoum Downtown

Le réceptionniste pourtant mal réveillé est causant, adorable et prévenant et propose spontanément, puisqu’il partira à 10h pour l’université qui se trouve juste à coté des bâtiments officiels appropriés, d’être le chevalier servant des démarches réglementaires opaques requises à l’arrivée dans son pays.

3h de sommeil et un nescafé plus tard c’est donc sous sa bienveillante houlette que comme par magie le microbus ad hoc et son sympathique chauffeur s’arrête devant le commissariat (introuvable sans aide bien qu’il soit imposant) où obtenir l’autocollant vert qui entérinera pleinement l’arrivée céans. S’ensuit avec cet ange gardien, secondé plus tard par un plus vieux et plus instruit des méandres protocolaires (dont la nécessité d’un « sponsor » dûment muni de sa carte d’identité), deux heures de balade bureaucratique, sympathiquement kafkaïenne, ici pour un formulaire (à faire remplir en arabe), là pour un timbre, ailleurs pour un tampon et ici encore pour payer les 370 SDG requis.

Etre un « alien » en conformité avec l’immigration ne suffit pas, il faut, en sus, pour avoir le droit de se déplacer sur le territoire, se procurer un laisser passer (oui, comme dans « Les 12 travaux d’Astérix ») … auprès d’un autre ministère à un autre coin de la ville. Là-bas la demoiselle qui s’ennuie dans son bureau aveugle est tellement surprise et heureuse de rendre service à un étranger indépendant (espèce rare et atypique) que non contente de faire agréablement diligence elle déploie et offre tout un attirail de brochures touristiques sur papier glacé pour donner un avant-goût des  merveilles que propose la région. Le « permis de voyager et de photographier » remis après moult photocopies stipule qu’il est interdit d’immortaliser un nombre considérable d’espaces (ponts, gares, voies publiques, bâtiments officiels, installations électriques, …) et laisse intuitivement présager d’embêtements éventuels à qui s’y risquerait indûment.

Khartoum - Marchande de thé ("sitta chay")

Après toutes ces joyeuses formalités, une petite bière ne serait pas de refus mais, la sharia faisant loi, une lampée d’alcool coûte jusqu’à quarante coups de fouets. Une marchande de thé (« sitta chay »), joliment voilée coloré, remplace délicieusement cette envie éthylique avec un godet brûlant de chaï aux épices sucré… qu’apanage de visiteur (?) un autre client aura déjà discrètement payé en guise de bienvenue.

Tous ces salamalecs eussent pu être soûlants, il n’en n’est rien. Ici (mais comme partout ailleurs dans le monde) il n’y a définitivement pas plus authentique que les administrations et les gargotes locales (et les gares routières –mais c’est une autre histoire). Malgré un régime islamique plus qu’autoritaire la pression religieuse semble (au moins en surface) décontractée, le quotidien est à la fois dense et léger. Ici (plus qu’ailleurs dans le monde) c’est l’hospitalité naturelle, chaleureuse et désintéressée des quidams qui révèle le véritable cœur et la mansuétude infinie d’un peuple pourtant contraint : l’accueil est généreux, les habitants magnanimes, l’ambiance conviviale, les échanges étonnamment simples et ouverts. Les khartoumais (les soudanais) savent et sont heureux de recevoir simplement et c’est mieux qu’une réconciliation d’être leur invité.

Soudan : Khartoum - pont de l'île de Tuti

* Respectivement les Laurent Asiatrek et OneChai (ce dernier, rejoint ensuite à Shendi, publie ses articles sur le Soudan ici)