… et Pise : ode

Il y a un truc à Pise qu’il n’y a pas en la luxuriante Florence ni même à Sienne plus tempérante. La ville n’est pas aussi asphyxiée par cette renaissance omniprésente et ostentatoire qui fait la renommée de ses consœurs toscanes. Elle ne se targue même pas publiquement d’avoir vu naître Galilée en ses murs (en 1564). La mer n’est pas loin et rien que son idée est apaisante.

L’espace urbain est aéré, souriant, facétieux même; il est agréable de s’y promener sans but ni surtout la presque appréhension qu’une merveille du quattrocento ne trouble sans cesse ses pensées. L’Arno en cette mi-février se tient tranquille (l’hiver il a une fâcheuse tendance à déborder). Dans le centre, l’atmosphère et le rythme provincial sont une vraie détente. Les terrasse des cafés sont des lieux de rencontre où se retrouvent les commerçants pisans qui y discutent le bout de gras avec de grands gestes. Le caffè doppio en appelle facilement un autre juste parce que l’ambiance est calme et détendue, populaire.

Pise - Italie : Église Santa Maria della Spina au bord de l'ArnoPise - Italie : Piazza dei CavalieriPise - Italie : Fresque Keith Haring Pise - Italie-: Poste centrale / Piazza Vittorio EmanuelePise - Italie : Vicolo del TintiStreetart - Blub : Artiste florentin

La tour isthme

L’autre truc, l’attracteur de Pise, son symbole, c’est évidemment la fameuse et célèbre tour penchée, campanile de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption. La place des miracles rutile d’un vert allègre soigneusement entretenu sur lequel s’aligne et se détache chacun des monuments du triptyque baptistère, église et enfin ce clocher comme un menhir raffiné mal planté de travers.

Des bus dédiés font en continu l’aller/retour entre la gare centrale et l’esplanade au bout de laquelle se dresse, stoïque, cette vanité déjetée. Ils déversent des contingents de venus là quelques heures seulement uniquement pour se prendre en photos fantaisistes selon des perspectives forcées faussés (le spectacle redondant des binômes de poseurs et instagrameurs est bien plus cocasse que leurs clichés résultats éculés). Si cette espèce de rampe de lancement  a été initialement conçue pour relier spirituellement la terre au ciel, aujourd’hui elle se contente de favoriser de faux-semblants entre le sol et les nuages.

Pise - Italie : Piazza dei MiracoliPise - Italie : Cathédrale Notre-Dame de l'Assomption

Se livrer à ses penchants

Mais l’objet du délit, en plus d’être incliné monolithe et rigide est en fait aussi tout de guingois. Lors de sa construction, il y eut des tentatives pour compenser la gîte initiale, puis des stratagèmes pour contrebalancer le poids de l’inflexion, le dernier étage fut bâti déclive, à contre-pente, et enfin différents essais, plus ou moins farfelus, ont tenté de redresser l’ouvrage… Le tout combiné confère à l’édifice de marbre un déhanchement pittoresque, un équilibre désaxé, une espèce d’antigravité arrimée au sol (et une occasion de réviser les notions liées au polygone de sustentation).

L’escalier en colimaçon spirale quasi aveugle jusqu’au 7ème étage entre les parois extérieure et intérieure de la tour creuse par ailleurs. La volée de presque 300 marches de marbres polies et lustrées par l’usure de millions de grimpeurs, aussi douces et souples que les montres molles, s’élève jusqu’au  beffroi. Une fois parvenu là haut, l’envie est assez irrésistible de faire rouler une bille au sol comme un croupier en lancerait une sur la rampe d’une table de roulette truquée (encore eût-il fallut penser monter avec une bille). Ou, comme malgré la légende Galilée ne le fit sans doute pas, lâcher divers objets depuis le parapet pour vérifier qu’ils touchent tous le sol en même temps et valider la théorie de la chute des corps.

Au pied de l’étrange phénomène, c’est distrayant aussi de jouer du grand angle vers le ciel et de s’amuser des tromperies et déformations de son ouverture pour essayer de le redresser.

Pise - Italie : Sorry the tower is not leaning todayPise - Italie : Entrée de la Tour penchéeMarches de la Tour penchée (pour accéder au dernier étage)Clocher de la Tour penchéeTour penchée : campanile de la cathédrale Notre-Dame de l’Assomption de Pise