L’Égypte antique c’est tout un fatras de jolis souvenirs scolaires qui mélangeait gaiement les dynasties à coups de pharaons aux noms exotiques, de mythologies cosmologiques, de divinités thérianthropes, de bestiaire ésotérique et de hiéroglyphes colorés, et rappelait que le berceau de Moïse était aussi celui de notre civilisation. Il y avait dans cet inventaire inextricable des scribes qui avaient retranscrit des légendes incroyables sur des papyrus récemment déchiffrés, des plaies et des tombeaux aux malédictions, des sarcophages et des momies effrayantes et des pyramides énigmatiques qui nous contemplaient. Par ordre des lectures d’alors, Tintin* suivi d’Astérix** puis Blake et Mortimer*** avaient bigrement compilé tous ces lieux communs. C’est fort de tous ces enseignements éclectiques qu’un jour il faut regarder en face les vestiges de ces millénaires lointains.

Le musée égyptien du Caire

Du haut de leurs 36 pieds, c’est Amenhotep III et la Reine Tiye qui accueillent les visiteurs au Musée égyptien du Caire (non climatisé -il fait au bas mot 32 degrés), et tout de suite ça en impose. Sous la verrière, ils trônent ici sur une galerie délicatement poussiéreuse, mais sévèrement éclairée aux néons blafards et aveuglants, où se pavanent une armada disparate de leurs convives colossaux, assis ou couchés là dans leur linceul de pierre. Il y en a partout, quelquefois encore posés sur leur palette de transport comme s’ils venaient d’arriver ou s’apprêtaient à repartir. C’est aussi merveilleux que d’être le héros d’une bande dessinée : chaque sculpture est sans barrière, à portée de main, on peut (presque) tout toucher comme un sale gosse, se cacher derrière les empilements de statues funéraires et elles chuchotent mieux que n’importe quel cours barbant sur le symbolisme de l’art monolithique, sont plus vivantes que les histoires même animée d’un égyptologue passionnant.

Musée égyptien du Caire - Amenhotep III et la Reine Tiyemuseecaire4Musée égyptien du Caire - Modèle de barque en bois peintMusée égyptien du Caire - Vases canopes de Toutânkhamon

Le musée, sur 2 étages (très) encombrés, est immense mais trop petit pour les collections, les salles (plus d’une cinquantaine) sont numérotées mais pas de manière vraiment chronologique et on a le droit de s’en foutre et juste de déambuler, sans repères ni autres explications que quelques affichettes, au grès des appels d’outre-tombes, des masques mortuaires, des coffres, des amulettes, des dorures, des parures et bandelettes, des tablettes et colonnes gravées et toutes ces autres sortes de choses sous vitrines surannées, tant à l’ancienne qu’on se croirait dans un roman de Théophile Gautier, un tome d’Adèle Blanc Sec, un cabinet de curiosités.

Au sortir du musée on a pas remis les périodes, les empires ni les règnes dans l’ordre mais on est plus savant de l’immobilité éternelle des animaux protecteurs, du regard immortel des sphinx, des sourires impérissables des souverain(e)s égyptien(ne)s endormi(e)s.

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La nécropole de Gizeh

Comme les archéologues n’ont pas pu déplacer les tombeaux royaux, 2 jours s’imposent histoire d’aller voir les écrins monumentaux qui renfermaient initialement les merveilles vues au musée. Le plateau de Gizeh est à 25km du Caire via une route embouteillée qui traverse les banlieues serrées et compounds barricadés qui grignotent chaque jour un peu plus le désert …et tout soudain les pyramides culminent au dessus des immeubles et on ne voit plus qu’elles jusqu’à arriver à l’entrée du site enclos. A Nazlet El-Semman tous les toit-terrasses des maisons d’hôtes ont vue sur ce fabuleux panorama et c’est un plaisir aussi ordinaire que fastueux, en sirotant un chaï, d’assister de là-haut d’abord à la tombée du jour (“C’est au soleil couchant qu’il faut voir les Pyramides“ – Gustave Flaubert****) puis au son et lumière vieillot et terriblement emphatique qui emplit l’atmosphère 3 fois par soir dans toutes les langues (les locaux connaissent phonétiquement par cœur le texte (de Malraux?) et ses traductions).

Pyramides de Gizeh - Son et LumièreVue du plateau de GizehÉgypte antique - Sphinx de GizehÉgypte antique - Pyramide de Khéops

C’est fou le pouvoir d’attraction que quelques polyèdres massifs peuvent exercer sur l’imaginaire, comme si leurs apex étaient des aimants astraux. Parcourir nonchalamment à dos de chameau flegmatique les environs 200 hectares de ce qui reste de désert autour de ces constructions pharaoniques relève de la fusion avec le paysage à la fois réel et mythique, d’une parfaite symbiose entre le passé et maintenant, de l’appartenance à une caravane impassible aussi inébranlable que la géométrie et l’équilibre des empilements de blocs calcaire de ces mausolées. En contrebas, face au levant et à la ville vorace, le sphinx, imperturbable, hautain de ses tout petits 20 mètres, tourne le dos à toute cette grandeur.

Égypte antique - Pyramides de Gizeh

* « Les cigares du pharaon » par Hergé
** « Astérix et Cléopâtre » par  René Goscinny (scénario) et Albert Uderzo (dessin)
*** « Le Mystère de la Grande Pyramide »  par Edgar P. Jacobs
**** Gustave Flaubert « Notes de voyages – Voyage en orient : Egypte » 9 décembre 1849

Egypte - bandes dessinées