Voyageurs - Jorge Luis BorgesSur la route on tombe aussi, comme à la renverse, sur des congénères, des compagnons de fortune − les ceux qui se promènent parce que. Ce n’est pas parce qu’ils voyagent que nous sommes pareils, mais c’est parce que nous voyageons que nous nous rencontrons: qui nous sommes, si tant est que nous ayons été quelqu’un, a peu d’importance puisque ce jour là nous ne sommes que des étrangers au même point, avec moins de regrets – « nous avons encore l’age d’aimer pour de vrai »*

Qu’ils amusent, qu’ils agacent, qu’ils attendrissent, qu’ils émerveillent voir fascinent, qu’ils montrent la voie ou qu’ils emmènent, ces autres (cette engeance) sont le reflet et l’écho des bonheurs, fuites, exaspérations et interrogations qui accompagnent chaque pas et qui nous captent là, et quelquefois ici, ensemble, devant un café, un paysage, une gare, un choix. Auprès d’eux il fait bon: ne pas avoir à se justifier, ne pas avoir à se contrefaire, juste être maintenant quelquepart sans antécédents ni perspectives, car, par nature, demain nous ne serons qu’un souvenir, une liaison, une perle, plus ou moins précieuse, sur le collier de nos histoires.

Mais une fois qu’on les a approchées, nous ne sommes plus jamais loin de ces parallèles croisées dans l’espace projectif rond qu’est notre monde. Nous ne sommes pas amis, ou pas encore, nous avons pu être amants, nous nous sommes souvent confiés, sans détours ni ambages, les plus secrets de nos voyages vécus, imaginaires et intérieurs, nous n’avons partagé que l’intensité, la séduction féerique, l’émotion et la passion de l’instant vivant… et c’est plus qu’il n’en faut, qu’il n’en a jamais fallu, pour que cela soit un bout à bord, lové comme une aussière.

*« Les Amis D’Autrefois » Anne Sylvestre