Sucre - Gare El TejarPour aller de Sucre à Potosi il y a 3 heures de bus ou 6 heures de « train ». Dans le second cas, l’aventure commence par trouver la gare de départ (El Tejar), que nulle agence ne dit connaître, alors qu’elle se trouve à une demi heure de colectivo du marché central (le 4 ou le Q), certes planquée derrière une délicieuse église bordée de jacarandas, un terrain de sport délabré et le long de l’enceinte d’un camp militaire. Il y des rails et sur le quai trône un ex-voto à Fatima (!?).

Sucre Potosi - Départ de El TejarLa station est fermée et déserte, mais un gringo qui tourne autour du bâtiment attire et la curiosité et la sollicitude; un habitant passe un coup de fil magique et annonce l’arrivée du chef de gare dans peu de temps (une bonne heure en fait). Sur le plan des 24 places assises du seul wagon, le préposé inscrit le nom du passager (devant, à coté du conducteur parce que premier usager solo arrivé) en guise de réservation. Le panneau horaire affiche 10 arrêts d’ici au terminus. Rendez-vous est pris pour le départ du lendemain.

A huit heure du matin, le quai est joliment encombré des baluchons –aguayos vivement colorés, des voyageurs, de leurs proches et de la cantinière qui vend boissons, bananes et barres chocolatées pour la route. Du dépôt arrive sur les rails, en marche arrière, la patache qui n’est autre qu’un bus monté sur un bogie ferroviaire : la « locomotive », où le volant n’est qu’un vestige purement décoratif, est donc de fait la seule voiture de cet omnibus. Étonnamment (ou pas), ce « ferrobús » n’est pas un moyen de transport touristique mais un service social (sic); comme pour le Fianarantsoa-Manakara à Madagascar, la ligne connecte les communautés andines et les villages montagnards reculés, les passagers parlent tous, plus et mieux, un patois quechua que l’espagnol.

Quelque part entre Sucre & PotosiEntre Sucre & Potosi - MariacaSucre Potosi - Arrêt quelque part

Sur 180 kilomètres, le dit « bus-carril » va s’élever peu à peu, précautionneusement, dans la montagne. A la dizaine d’arrêt officiels, quelquefois à peine marqués d’un panneau corrodé, vont s’ajouter des haltes aléatoires pour déposer ou embarquer (ou non, quand le chauffeur décide que le compartiment est plein), en des lieux qui semblent pourtant déserts, des hommes ou des marchandises, dégager la voie d’obstacles encombrants, chasser à coups de klaxon les nombreux ânes et chèvres qui y broutent, et autres stops contingents. A chaque redémarrage les chiens du coin, sortis d’on ne sait où, poursuivent furieusement la motrice.

SucrePotosi_AnesSurLaVoieSucre Potosi - AgriculteurPotosi - Arrivé En Gare

Et c’est plutôt sept que six heures de steppes en coteaux, de plus en plus pelés, de chemins de croix qui serpentent sur les collines bistres, d’empilement de cailloux en totems, de parois brunes où, à force de scrutation, l’œil finit par supposer des géoglyphes symboliques dans l’uni des versants poudroyants, mais aussi de rivières, de champs, de cultures et de ruralité au milieu de nulle part, de ponts improbables et d’un unique tunnel. Sept heures d’ondulations, d’oscillations entre corniches et ravines, de bercements pendulaires, de régularités et d’alternances, de monotonie aussi sur la fin du trajet, et enfin de dodelinements jusqu’aux bâtisses cubes en briques rouges qui ceinturent la ville terminus posée au pied du Cerro Rico.

Le jour suivant l’équipage repartira dans l’autre sens : il n’y a (plus?) qu’une voie entre Sucre et Potosi, les convois ne peuvent pas s’y croiser…

Un extrait de l’émission « Des trains pas comme les autres » pour se faire une idée…