Chefchaouen : feeling blue

Perchée au milieu des montagnes du Rif occidental, nichée au pied des monts Kelaa et Meggou, Chefchaouen est un saphir lumineux timide abrité dans un écrin jaloux.

Il fait bleu*, pas comme la peur ou la colère, ni la fleur, ni la lune, pas plus qu’au cœur ou à l’âme, juste bleu à faire pâlir le ciel même au-delà de l’heure et de la nuit. C’est le O(h!) de Rimbaud « silences traversés des mondes et des anges »**, un écho radieux de fraîcheur qui prend son temps pour s’estomper vers les sommets alentours. Un ton feutré presque aphone, poudré d’horizons lointains, essentiel et doux, magnétique, qui réveille l’espace et sur lequel n’importe quelle autre teinte claque comme une découverte polychrome. Un outremer immatériel où flottent les rêves, d’une délicatesse aussi aérienne que des écharpes soyeuses dans lesquelles se lover, où apaiser l’âme. Un bleu d’îles des mers du sud ou de Prusse, cobalt, vitriol, flamboyant, perturbant à en faire mal aux yeux. Il fait bleu mais pas que.

Au milieu de cet océan d’azur hautement photogénique, les chats de Chaouen déambulent, des touristes pressés en mal d’originalité cadrent et mitraillent les plus petites fantaisies supposées typiques et les locaux, philosophes, vaquent et commercent. Si Chefchaouen n’était pas tant bleue elle serait juste charmante.

Chefchaouen - La fontaine Rif Al-AndalusChefchaouen - Ville bleueChefchaouen - Bleu nuitChefchaouen - Dar LamanChefchaouen au coucher du soleil

Le parc national de Talassemtane : out of the blue

À la ronde, dans l’arrière-pays de cette enclave pastel, la pleine nature revendique immédiatement haut et plus fort sa verdoyance.

Le parc national de Talassemtane enchevêtre pics, falaises, gorges, oueds, grottes, dans une espèce de maquis méditerranéen dense et luxuriant. Des successions de crêtes abruptes créent un relief pour le moins accidenté. Au faîte des 2000 mètres d’altitude du Jebel L’kraa la prodigalité de la palette des sapinières éclipse avec superbe le détour égaré et périlleux de la Route de Tisemlale qui mène là-haut via des versants vertigineux (enneigés et impraticables en hiver).

En bas, là-bas, dans le creux des vallées, des villages berbères soigneusement encaissés réitèrent des désirs illusoires d’ermitage où se réfugier et se cacher en solitude.

Chefchaouen - Route de TisemlaleChefchaouen - Route de Tisemlale; NeigeChefchaouen - Parc national de Talassemtane

Akchour : damn it to blue blazes !

Ce weekend de mars, une cohue autochtone bruyante et festive pique-nique et s’ébat dans les pièces d’eau réfrigérées en amont du petit barrage d’Akchour. De là, chaque sentier de randonnée longe les cours d’eau ou grimpe à flan de ravin. Celui qui monte à droite est une promesse. Le décor est sauvage et la chaleur brute; une heure d’ascension toute suffoquée par l’un et l’autre conduit pantelant face au spectaculaire Pont de Dieu. L’architecture, oeuvre d’art naturelle à défaut d’être divine, surplombe de 25 mètres sans garde-fou les deux bords de la rivière qui s’écoule à ses pieds, indifférente, glaciale, continûment entrain d’éroder la voûte en un sempiternel travail de sape souterrain.

Il fait un calme translucide, cristallin, une atmosphère de soliloque pour géant qui a tout le temps. Un faible vent chuchote, les djebels bavardent entres eux, toute divagation s’effiloche en harmonie avec les nuages d’altitude.

Plus loin, pas loin, au bout d’un autre canyon, sur un autre versant, une succession de cascades dévale et ruisselle en désordre et rien que de le savoir permet de croire entendre le brouhaha des chutes comme s’il se propageait dans les combes.

Akchour - Barrage Oued FardaAkshour : Oued FardaAkshour - Pont De Dieu

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* « Il fait bleu, il fait bon / Il fait aujourd’hui » Mon petit nom – Paul CLAUDEL, Dodoitzu (1944)
** « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, … » Voyelles – Arthur RIMBAUD, Poésies (1871)