Il y a des routes que même les locaux ne conseillent pas, surtout à une solo, encore plus si elle souhaite la faire d’une traite. Celle qui ascensionne les 438 kilomètres (chaque kilomètre compte) pour aller de Srinagar à Leh, et dont la passe de Fotu-La culmine à 4108 mètres, est dans la liste.
5h du matin, il pleut mais à cette heure-là ce n’est encore qu’un détail. Comme dans tous les autres trajets effectués en jeep collective, il n’y a que des hommes à bord, un peu ébahis d’abord (l’achat considéré, quoique colonial, des deux sièges avant – histoire d’avoir un peu d’espace vital dans les virages à venir – doit participer à cette stupéfaction), ils deviendront curieux puis protecteurs.
Les 30 premiers kilomètres sont de velours alors qu’ils prennent à eux seul une bonne heure, déjà les coiffes des hommes changent. Dépassé les derniers villages de la vallée, à part la largeur de la route qui ne permet pas toujours des croisements (temps d’attente de son tour sur aire de parcage indéterminé), tout devient absolument démesuré : les prairies, les torrents, les montagnes, les glaciers au loin, les troupeaux (chèvres, moutons, chevaux, poneys,…), les files de camions Tata instables, les ornières encore creusées par cette foutue pluie, les camps de l’armée, les coulées de neige et de glace, les éboulements, les écoulements, les engins de déblaiement, les lacets, les ravins à pic, les stupas paumées… Les paysages se transforment d’heures en heures – vert, brun, blanc – et charrient chacun leur lot de fécondes magnificences, le terme gigantisme prend partout un sens éminemment considérable, c’est aussi épique qu’inouï; c’est comme de traverser tout à tour les images vues qu’en 2 dimensions de la Patagonie, de la Mongolie, du Colorado, de la lune, … on est au milieu de nulle part et au centre du monde : c’est le Ladakh (et même à 20 à l’heure, c’est ébouriffant).
A Lamayuru au crépuscule, la pluie a cessé, le village est pimpant prêt rouge et blanc pour la venue d’un enseignant bouddhiste prévue la semaine suivante. Les 125 derniers kilomètres, toujours en épingle à cheveux tordue mais heureusement en bon état, s’effectuent de nuit, discussion animée dans la jeep pour tenir éveillé le conducteur qui à l’arrivée n’aura pas lâché le volant 19 heures durant. Le lourd édredon sur le lit accueille comme il faut le rêve immédiat d’un nid chaleureux où reposer ses reins vrillés et ses yeux aveuglés.
Trajet : Srinagar (Pk 0) > Sonamarg (Pk 84) > Zoji La (col à 3528 m) > Drass (Pk 147) – Kargil (Pk 204) > Fotu La (col à 4108 m) > Lamayuru (Pk 315) > Leh (Pk 438)