Rentrer d’un long voyage n’est pas une mince affaire, et après huit mois de temps pour soi, prendre un avion pour rentrer en Europe aurait été trop brutal. Traverser l’Atlantique en cargo s’est imposé comme une transition idéale. Pour l’avoir déjà expérimenté cinq semaines durant le long des côtes Ouest Africaines, être le passager oisif d’un de ces bâtiments flottants est tout un art, incongru, fainéant, d’occuper des heures de navigation lente, lourde et déconnectée, sans perturber un équipage généralement circonspect, en mer occupé tant bien que mal dans les coursives (soudure et peinture sont les deux mamelles des cols bleus), mais complaisant à défaut d’être bavard.

Cargo CMA-CGM Platon à Natal

Un porte containers c’est avant tout une entreprise qui s’évalue en tonnes (7200 tonnes de fret, des journaliers à quai qui cachetonnent, des tonnes de paperasses, des marins qui chantonnent, la mer qui moutonne, …  ): seul le bateau, la bonne marche du bord, la cargaison et la route comptent; le passager n’est qu’un tiers qui détonne.

Au port de Natal, avant le départ, jours et nuits 48 heures durant, les manœuvres se relaient infatigablement pour empiler à la grue et caler à la main les pièces de ce Tetris géant qu’est le chargement d’un vaisseau de la marine marchande. C’est une chorégraphie aérienne et pesante, aussi fascinante qu’un mouvement perpétuel.

Cargo CMA-CGM Platon / Opérations de chargementCargo CMA-CGM Platon / Opérations de chargementCargo - Homme De Quart

Il faut ensuite une grosse semaine pour relier Natal (extrémité Nord Est du Brésil) à Algeciras (en face de Gibraltar) et c’est littéralement un voyage sans histoire si ce n’est la visite de la bruyante et nickel salle machine (casque antibruit obligatoire), quelques baleines au loin, la complainte des électriciens philippins obligés de jongler avec les ampères pour maintenir les conteneurs réfrigérés à température (mieux vaut transporter du congelé que du produit frais, c’est moins fastidieux), le français parfait des officiers roumains, un exercice de sécurité, un barbecue pantagruélique et festif un soir sur la plage arrière, un peu de remous au passage du pot-au-noir, et sur la fin, à l’approche des Canaries, tout le monde à bâbord sur le pont supérieur, de nuit, espérant capter un peu de réseau… et ce n’est pas rien.

Cargo CMA-CGM_Platon / Départ de NatalVoyage Cargo / Par le hublotCargo CMA-CGM_Platon / Salle Machine

Un jour sur deux environ, à midi il est 13 heures (recalage horaire au fur et à mesure de la traversée), ce qui ne change que le rythme important des repas pendant lesquels s’effectuent l’essentiel des échanges sociaux –la question récurrente du moment (mi-décembre) portant sur la probabilité d’être chez soi à Noël compte tenu des retards accumulés sur la campagne; tout le reste de la vie à bord est calqué sur le temps universel coordonné (UTC). A la passerelle, l’homme de quart se morfond à scruter l’immensité bleue, grise ou sombre. Tout cet espace vide et liquide est à la fois une guerre des nerfs contre des mises en abysses et une « grande paix étrange »*; posé à 20 mètres au dessus de l’eau quelque fois la tentation est vertigineuse de s’y jeter.

Cargo CMA-CGM Platon / Passerelle

Il faudra encore, faute de place à quai, patienter 24 heures au mouillage dans la baie d’Algeciras, face à la péninsule de Gibraltar, avant de s’amarrer. Un jour à vouloir retenir des heures qui paraissaient pourtant sans fin, à avoir tout autant l’envie impatiente de débarquer que de ne plus jamais toucher terre, un jour encore avant de retrouver quelque part qui fut chez soi.

Gibraltar

* « le temps du quart se passe à veiller au milieu de ces grandes paix étranges des eaux australes » – Pierre Loti / Mon frère Yves

+ un article trés complet sur le voyage en cargo :  www.tourdumondiste.com